Septembre 2005. À quelques jours d’écart, la Seine-et-Marne est pointée à deux reprises comme mauvaise élève en termes de qualité de l’eau. Sur fond de campagne cantonale, un rapport de la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddass) de Seine-et-Marne est rendu public le 8 septembre sur l’état des lieux des pollutions dans le département. Suit, le 12 septembre, un colloque sur l’eau à l’initiative du conseil général. Dans le même temps, le bilan national sur la qualité de l’eau et les pesticides publié par le ministère de la Santé met le département en deuxième position en termes de non-repect. Agriculteurs et politique d’assainissement de l’eau sont montrés du doigt. Mais, plutôt que de camper sur leurs positions, et sous l’impulsion du préfet, Jacques Barthélemy, les différents acteurs vont cette fois faire converger leur énergie vers l’objectif commun de reconquête de la qualité de l’eau. L’enjeu va l’emporter sur les batailles partisanes.
Curatif : l’interconnexion entre communes privilégiées
“Une tempête dans un verre d’eau”, résume le préfet de Seine-et-Marne, qui entend en premier lieu resituer les problèmes à leur juste niveau. La situation est sensiblement moins dramatique que dans d’autres régions. Ce qui ne l’empêche pas d’agir. Le sujet lui est d’ailleurs familier, puisqu’il était auparavant préfet des Côtes-d’Armor. Arrivé en 2003 en Seine-et-Marne, il va travailler à convaincre tous azimuts. “Ma priorité est claire : il ne peut y avoir d’eau non conforme aux normes.” L’action doit être menée dans deux domaines : curatif et préventif.
Première priorité : le curatif. “Un travail de fond a été effectué depuis 2003 pour fédérer l’ensemble des partenaires impliqués, pour disposer de solutions pérennes, poursuit le préfet de Seine-et-Marne. Deux options sont possibles : soit la mise en œuvre de nouvelles unités de traitement de l’eau, soit l’interconnexion entre plusieurs communes.” La deuxième solution, moins coûteuse, est privilégiée dans le schéma départemental d’alimentation en eau potable sur lequel travaillent les services de l’État. Elle suppose un travail de conviction auprès des nombreux syndicats d’adduction d’eau. En filigrane, se dessine tout le débat sur l’intercommunalité.
Préventif : l’action collective ne coule pas de source
“Un des défis qui nous attend est de susciter des solidarités intercommunales”, commente Jean Dey, vice-président du conseil général, en charge de l’eau, l’air et la terre, du groupe des Verts, et par ailleurs président d’Aquibrie, association qui mène depuis des années un travail de prévention sur le bassin de Champigny (centre du département). Il s’inquiète de l’impact sur la santé des consommateurs d’une eau non conforme dans certaines communes depuis des années et du coût de la reconquête d’une qualité conforme. Mais il se félicite de la mobilisation qui se dessine. Une première séance de travail pour développer les mesures préventives sur le thème de l’eau a eu lieu le 18 novembre 2005, associant les collectivités territoriales, les services de l’État, l’Agence de l’eau, la Chambre d’agriculture, les représentants des consommateurs et des agriculteurs bios… D’autres sont programmées en décembre et janvier. “Il s’agit de définir les bons indicateurs et à partir de là les zones prioritaires, les critères et les objectifs qui permettront de concentrer les efforts”, développe Jean Dey. Car le département ne part évidemment pas de rien. Il se distingue au contraire par plusieurs actions telles la mise en place de 1 200 km de bandes enherbées en 2005 ou encore la couverture des sols nus en hiver aux deux tiers par des Cipan (Cultures intermédiaires pièges à nitrates). “Beaucoup de choses ont déjà été faites, et depuis longtemps, mais sur un mode trop dispersé”, précise Hervé Durand, directeur de la Ddaf (Direction départementale de l’agriculture et de la forêt). “Le consensus sera moins rapide à obtenir pour les mesures préventives que curatives”, reprend Jean Dey, qui se félicite cependant d’une ouverture plus grande de la part des agriculteurs. Renouvellement de génération, la mise en place des mesures d’écoconditionnalité… La perception de la problématique environnement progresse.
La balle est dans le camp des agriculteurs
La démarche n’est pas en soi évidente. Des positions divergentes entre collectivités territoriales et profession agricole ont longtemps bloqué la situation dans le département. Chacun a fait un bout du chemin. “Nous étions auparavant davantage sur la défensive, reconnaît Gérard Métras, directeur de la Chambre d’agriculture. Mais l’importance croissante de la population rurbaine et la mise en œuvre pratique de l’écoconditionnalité ont changé la donne. Et les agriculteurs perçoivent maintenant mieux en quoi ces contraintes peuvent être des opportunités.” Une prise de conscience qui conduisait d’ailleurs la Chambre d’agriculture à centrer sa session de printemps, le 21 avril 2005, sur l’eau et l’agriculture. “Nous y avons notamment décidé d’axer l’action de notre service agronomique sur la protection des ressources, et non plus seulement sur la production agricole. Nous allons développer des programmes de réduction d’intrants.” Autre exigence forte détectée par la Chambre d’agriculture : celle de davantage de transparence sur les pratiques des agriculteurs, ce qui se traduit par la mise en place d’un observatoire. L’ambition étant, au final, à la fois de mettre en avant la réalité des efforts entrepris, mais aussi de jouer un rôle plus actif dans les choix du département, y compris dans la définition des zones géographiques prioritaires. Le tout ne peut se faire en braquant les agriculteurs, qui ont vu leurs résultats économiques fondrent ces dernières années. Le maître mot reste la pédagogie. “Car, conclut Jean Dey, la réussite de notre action dépend avant tout de notre capacité à convaincre. Cela ne fonctionnera que si la grande majorité des agriculteurs joue le jeu.”