Produire soi-même son biocarburant

20 février 2005 - La rédaction 
Il s’est équipé pour faire tourner ses moteurs à l’huile de colza et de tournesol. Éleveur, Jean-Philippe Duval nourrit ses vaches avec le tourteau et utilise l’huile végétale comme carburant pour son matériel. Un bel exemple que cet adepte des énergies renouvelables.

Jean-Philippe Duval est content. D’après ses calculs, à partir de 2005, sa presse sera amortie et l’agriculteur installé à Bonchamps-les-Lavals (Mayenne), économisera ainsi 1 000 euros par an : “1 000 euros, c’est la somme annuelle que je versais à la Cuma de Cepvil qui triturait le tonnage de graines dont j’avais besoin= pour mon exploitation.” L’agriculteur adhère à la Cuma en mai 2002 pour la presse et la pompe filtreuse. Il se rend très vite compte qu’en investissant dans une petite presse, il pourrait devenir autonome. Dès novembre 2002, il achète 3 000 euros une presse Taby 40 qui traite 15 kg de graines par heure. En 2003, il presse 20 tonnes et en 2004, 26 tonnes de graines. “Pour 2005, je devrais atteindre 30 tonnes”, espère-t-il. La réussite est évidente pour Jean-Philippe Duval mais elle n’est pas arrivée toute seule. C’est en 1995, à 25 ans, qu’il se met en Gaec avec sa mère sur 50 hectares et avec 40 vaches laitières. Toujours curieux de nouvelles techniques et surtout intéressé par les énergies renouvelables, il commence par installer un chauffe-eau solaire et des panneaux photovoltaïques pour l’exploitation. Comme il cherche à diversifier ses énergies, il ne tarde pas à s’intéresser aux biocarburants et assiste à une réunion à la Fédération départementale des Cuma. “Je recherchais une autonomie alimentaire, se souvient-il. Je voulais produire des protéines et acheter le moins possible d’aliments.” Séduit, il adhère à la Cuma départementale du Cepvil qui possède une Taby 55 traitant 30 kg par heure. Aujourd’hui, il est toujours membre de la Cuma propriétaire de la pompe à huile filtreuse.

Une huile la plus pure possible

Comme il produit la quantité suffisante de tourteaux dont il a besoin pour ses bêtes, et que sa presse a la capacité de presser 120 tonnes de graines par an, il en fournit aussi à d’autres éleveurs et garde l’huile brute pour payer sa prestation. Il presse 150 kg en 10 heures. L’huile décante naturellement pendant au moins trois semaines dans de grands containers. Ceci permet de réduire de moitié la concentration de phospholipides dans l’huile brute. Les phospholipides sont les molécules à l’origine de l’encrassement de la culasse et des injecteurs. Il transvase ensuite l’huile dans une cuve à l’aide d’une pompe filtreuse et la laisse décanter à nouveau. Si l’huile s’oxyde, l’indice de cétane est meilleur mais l’acidité augmente : “Il faut essayer d’obtenir l’huile la plus pure possible. Même les vieux moteurs sont amateurs d’huile sans dépôt.” La cuve est entièrement nettoyée une fois par an.

Rechercher la température idéale

En 2004, Jean-Philippe Duval qui a parfaitement étudié son dossier décide de presser aussi du tournesol à part égale avec le colza. Il faut dire que les rendus ne sont pas les mêmes selon la graine et les conditions de pressage. “Il faut respecter les principes essentiels et tout fonctionne, explique-t-il. Que ce soit du tournesol ou du colza, le produit doit être sec avec un maximum de 7 % d’humidité, mais une graine trop sèche, c’est-à-dire inférieure à 5 %, entraîne aussi des problèmes de pressage. Le taux d’impuretés ne doit pas dépasser 2 % pour ne pas pénaliser le travail de la presse et la qualité des sous-produits. L’huile issue de la première pression à froid ne contient pas de phospholipides, ce qui évite d’encrasser les moteurs à injection directe. Un maintien de la tête de pressage à 50 degrés augmente les performances de l’extraction.”

La graine de colza donne de 25 à 30 % de son poids en huile selon la température de pressage. La graine de tournesol, avec 35 à 40 % d’huile, est plus productive mais cette proportion peut chuter jusqu’à 13 % si la température est trop basse. “Il est essentiel de rechercher la température idéale pour obtenir le meilleur rendement d’huile tout en évitant les dépôts trop importants, explique Jean-Philippe Duval qui vient de trouver un nouveau débouché. Mon client va me fournir 15 tonnes de tournesol oléique à presser. Ils vont produire 7 500 kg d’huile et autant de tourteaux. Je garde le tourteau pour me payer. C’est un troc où chacun trouve son compte.”

Tous ses matériels ont adopté l’huile végétale

Toujours ingénieux, Jean-Philippe Duval mélange l’huile végétale brute de sa production avec le fioul et utilise ce mélange comme carburant pour ses matériels. Sur son tracteur Renault 751 équipé d’un moteur MWM 4 cylindres, il a installé deux filtres et des électrovannes 3 voies qui vont permettre de redémarrer au fioul et non à l’huile. Avec son seul témoin traditionnel de chauffage, il passe à l’huile dès qu’il atteint 50 à 60 °C de température. Sur ce tracteur 751, les équipements sont simples : deux filtres, un réservoir de fioul additionnel de 20 litres et un réservoir d’huile de 60 litres. Cela fait un an que Jean-Philippe Duval tourne à l’huile et depuis deux mois, il a ajouté un deuxième filtre pour l’huile car “même en purgeant régulièrement, il reste toujours de l’huile qui ne se mélange pas et le moteur perd alors en puissance.” À raison de 300 heures par an, le tracteur fonctionne parfaitement.

Moins de fioul et plus d’oméga 3

Finalement, les à peu près sont-ils nombreux dans cette démarche de fabrication et d’utilisation de carburant ? Pas forcément répond cet agriculteur qui, près de dix ans après son installation, pense son métier autrement. “Lorsque je suis passé aux tourteaux, c’est parce que j’étais à la recherche d’aliments moins protéiques mais surtout plus énergétiques pour mes vaches. Je leur donne 6 kg de complément dont presque 3 kg de tourteau de colza et de tournesol. Une tonne de tourteaux équivaut à 250 ou 300 kg de colza. C’est donc plus intéressant pour mon exploitation d’un intérêt global”. Le tracteur Arès 610, équipé d’un moteur John Deere DPS, roule avec un mélange à 30 % d’huile décantée et 70 % de fioul. Là, aucune autre modification n’est effectuée. Utilisé pour les gros travaux, ce tracteur ne fonctionne qu’au fioul en hiver. Même le vieux Manitou M53 s’est mis à l’huile brute. Il est équipé d’un système de bicarburation qui comprend un réservoir supplémentaire et un kit de basculement d’un réservoir à l’autre. “Les applications sont faites au cas par cas, selon le type de matériel et la qualité de la graine”, tient à préciser Jean-Philippe Duval pour qui la démarche a un intérêt économique évident : “Le rendement est excellent. Avec un prix de marché des tourteaux à 0,15 euro par kg, la tonne d’huile oscille entre 300 et 400 euros. Soit 0,36 euro le litre contre 0,45 euro pour le fioul et 0,90 pour le gazole. L’huile produite est nettement plus rentable que le prix du fioul. Et comme en 2004, j’ai consommé 1 500 litres d’huile, ils viennent en déduction des 3 500 litres de fioul traditionnellement achetés et consommés dans l’année.” Le pressage d’huile est aussi une bonne opération pour la consommation familiale puisque l’huile de colza riche en Oméga 3 possède des vertus nutritionnelles.

Laisser un commentaire

Recevoir la newsletter

Restez informé en vous abonnant gratuitement à la newsletter