Qualité de l’eau : un bilan alarmant

20 août 2005 - La rédaction 
L’alerte a largement été donnée, par les écologistes, par l’Institut français de l’environnement, par des scientifiques et tout récemment par Jean-Claude Lefeuvre du Muséum national d’histoire naturelle. 50 à 70 % des eaux ne retrouveront pas leur état initial d’ici à 2015, si rien n’est fait. Le credo de ce dernier : engager les bonnes actions, encourager les pratiques agricoles qui vont dans le sens d’une restauration de la qualité des eaux. Rencontre et bilan.

L’échéance 2015, établie par la directive européenne cadre de 2000 pour retrouver un bon niveau de qualité de l’eau potable, motive sans conteste une bonne partie de ceux qui, sans le vouloir, ont contribué à sa dégradation pendant plus de trente ans.

La France a déjà été condamnée par la Commission européenne pour manquement à des directives concernant la qualité de l’eau à cinq reprises et trois compagnies distributrices de l’eau potable ont déjà connu les tribunaux pour avoir fourni une eau non conforme. Le professeur Jean-Claude Lefeuvre du Muséum national d’histoire naturelle tire la sonnette d’alarme depuis les années 70 mais se veut optimiste : “Nous avons une chance à saisir pour que d’ici à 2015 nous puissions améliorer la qualité de notre eau dans les nappes, dans nos lacs et nos rivières. Tout ce qui sera fait permettra de retrouver le multiusage de cette ressource”. Mais, une partie des nappes souterraines est polluée de façon irréversible. L’Institut français de l’environnement relevait en 2004 un tiers des ressources en eaux dégradées. L’agriculture est certes l’un des responsables majeurs, mais pas le seul.En juin 2005, le professeur Lefeuvre a sorti un rapport compilant les analyses réalisées par les agences de l’eau au niveau des captages. Le diagnostic est loin d’être joyeux : 50 à 70 % des eaux ne retrouveront pas leur bon état initial d’ici à 2015 si rien n’est entrepris .

Et dans certaines régions comme la Picardie ou le bassin Seine-Normandie, plus de 80 % des eaux souterraines dont une partie approvisionne le circuit en eau potable sont d’un niveau de qualité très médiocre, classé à risque.

Le professeur Jean-Claude Lefeuvre du Muséum national d’histoire naturelle reconnaît l’effort engagé par nombre d’agriculteurs pour améliorer leur pratique et préserver leur terroir.

Informer les citoyens

Publier cette synthèse lui a semblé important alors que le ministère de l’Écologie lançait une consultation nationale dans le cadre du projet de loi sur l’eau : “Les citoyens doivent être informés pour faire entendre leur voix”. Mais aussi parce qu’un article du Quotidien du médecin en date du 4 avril, présente les conclusions d’une étude internationale coordonnée par l’Américain Paul Cox (Jardin botanique tropical national, Hawaï). Celle-ci révèle que la quasi-totalité des cyanobactéries produit une toxine potentiellement associée au développement de maladies neurodégénératives (Alzheimer et Parkinson), la cyanotoxine Bmaa. Ces bactéries prolifèrent à partir des micro-algues liées à la présence de nitrates et de phosphates dans les eaux de surface. Or, jusqu’à présent, la baignade est interdite seulement lorsque le taux des cyanobactéries sécrétant des dermatotoxines et des hépatotoxines est supérieur à 100 000 cellules par ml.

Ne pas oublier la matière organique

Les Agences de l’eau se sont focalisées sur le couple nitrates et pesticides. Pour Jean-Claude Lefeuvre, cela ne suffit pas. “On a trop négligé les apports en phosphate qui, avec les nitrates, sont des sources d’eutrophisation et donc d’excès de matière organique dans nos eaux provenant des proliférations d’algues et de cyanobactéries. Dans une région comme la Bretagne, soumise à des épandanges excédentaires de lisiers et sujette à l’eutrophisation, c’est seulement en 2003 que l’on a mesuré systématiquement les teneurs en matières organiques: résultat, 55 % des eaux des captages en Bretagne ont de telles teneurs hors normes… Cette matière organique peut être tracée par des marqueurs moléculaires comme le coprostanol qui indique à coup sûr comme provenance, le lisier de porc. La matière organique, combinée au chlore donne ensuite des composés cancérigènes comme le trihalométhanes ou les acides halocétiques. Il faut aussi faire disparaître les autres contaminants comme les micro-polluants émergents.” Cette étude n’est pas la première que le professeur a réalisée. En 1981, il publie un rapport sur “la qualité de l’eau potable en France” reprenant les statistiques des Directions départementales des affaires sociales et sanitaires de douze départements. “Ce rapport a coïncidé avec celui de Stéphane Henin, chercheur à l’Inra, qui émettait l’hypothèse des pollutions diffuses agricoles.” La publication de Jean-Claude Lefeuvre a alerté les pouvoirs publics : “C’était la première fois que l’on démontrait que 4 millions de personnes buvaient une eau qui ne correspondait pas aux normes de potabilité”, souligne-t-il. Le ministère de la Santé a alors demandé à toutes les Dass de réaliser la même compilation. Un diagnostic similaire est ressorti indiquant en particulier que si beaucoup d’eau n’aurait pas dû être distribuée pour cause de dépassement des normes nitrates, 25 % des eaux de consommation étaient de mauvaise qualité microbiologique, surtout en zone rurale et particulièrement dans l’est de la France. Une mesure demandant au maire d’informer la population lorsque l’eau dépasse les 50 mg/l de nitrates a ainsi été instituée. À partir de ce seuil, l’eau est déclarée impropre pour les femmes enceintes et nourrissons. Et en effet boomerang, l’Europe a pris l’initiative de réaliser tous les cinq ans un état des lieux sur les captages des zones de plus de 5 000 personnes. Ce qui malheureusement omet les territoires ruraux et induit une perte d’information. En 2000, la même analyse a révélé une légère amélioration mais seulement sur les grands cours d’eau. Car des mesures techniques ont été prises : les stations d’épuration des grandes agglomérations se sont perfectionnées.

Pour une attitude préventive

Or, en parallèle, les réseaux hydrographiques se sont dégradés avec en plus l’apparition du problème pesticides. “On a résolu au coup par coup sans faire de préventif. En abandonnant les captages sur des nappes trop polluées, en mixant l’eau d’un captage de qualité médiocre avec celle d’un cours d’eau.” Une politique du court terme qui ne permet pas de lisser sur toute la chaîne de l’eau le retour à un état correct. “Si les réseaux secondaires sont à 40 mg/l de nitrates, en aval les estuaires et les baies ne pourront jamais espérer descendre en dessous des 20 mg/l qui seuls leur permettraient de commencer à résorber leurs marées vertes.” Son credo : “Savoir porter des diagnostics globaux mais en termes d’action, bien apprécier pour chaque territoire, chaque bassin versant, les actions à mettre en œuvre, tant au niveau agricole que pour le reste des activités liées à l’industrialisation.” D’ailleurs la loi sur l’eau en préparation souhaite donner plus de pouvoir de décision aux régions et communes. Recréer les zones de bocages, installer des talus boisés de bas de pentes, planter des saules près des berges sont autant d’actions qui limiteront la diffusion des polluants vers les cours d’eau.

Tirer les bonnes leçons

Il salue la prise de conscience d’agriculteurs engagés dans la préservation du territoire, même si les améliorations mettront du temps avant d’être clairement perceptibles. “Les agriculteurs doivent être bien conseillés pour que les erreurs du passé ne se répètent pas.” Allusion faite à cette triste époque où une partie des terres du marais poitevin a été drainée, privant certains oiseaux migrateurs d’un refuge pour l’hivernage. Le label de parc naturel a été retiré à ces zones et l’Europe fait depuis peser sur la France la menace d’une amende de 158 000 euros par jour pour non-respect de la directive oiseaux. Certains agriculteurs envisagent de revenir à l’élevage sur prairies humides en redonnant aux canaux l’eau que les pompes de relevage éliminaient pour drainer et transformer les prairies en champs cultivés. Une eau qui dans ce pays souvent soumis aux sécheresses estivales constitue une assurance pour l’agriculture. Cette marche arrière coûtera moins cher à l’État que la pénalité à venir et se révèle fort riche en enseignements.

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Comment en est-on arrivé là ?

Plus du tiers des eaux dégradées en 2005. Comment la machine a-t-elle pu s’enrayer à ce point ?

Pour Jean-Claude Lefeuvre du Muséum national d’histoire naturelle, la technique associée à la quête du “toujours plus de rendement” sont les moteurs d’une agriculture qui pendant trente ans a mis de côté le paramètre environnement. La machine du productivisme s’est emballée. Avec le remembrement d’abord, qui a conduit à la destruction des haies, les parcelles de 4 à 5 hectares proposées par les géomètres sont passées à 30 ha. S’ajoutent le développement du maïs et la perte de biodiversité. Plus aucun barrage ne s’est opposé à la diffusion des polluants. Déjà en 1976 les premiers signaux d’alertes sont apparus: “alors que pendant l’été, la sécheresse vidait les nappes, une des rares villes de France qui ne vit pas ralentir son débit d’eau potable fut la ville de Saint-Malo. Toutefois, les vannes furent coupées: pour cause de non-potabilité liée aux taux élevés en nitrates et en pesticides”. Aujourd’hui les eaux polluées ont un impacte non seulement sur les écosystèmes, y compris marin, mais aussi sur la santé des consommateurs et l’activité économique (pêche interdite, tourisme).

Les actions à mettre en œuvre

Les conseils de Jean-Claude Lefeuvre :

• Planter des haies sur des talus de bas de pentes au niveau des bassins versants.

• Mettre le long des rivières des bandes enherbées et les border de haies ou de saules.

• Recréer les haies avec un maillage 50 % éléments hauts et 50 % éléments bas sur talus entre des parcelles de 7 à 8 ha maximum.

• Épandre des lisiers en respectant la définition des zones à risques et limiter au maximum ces épandages, valoriser la transformation en compost.

• Étendre la philosophie de Fertimieux (Corpen). Raisonner l’apport d’engrais, adopter les bonnes pratiques d’épandages.

Pascal Berteaud, directeur de l’eau, ministère de l’Écologie

“Dix ans pour redresser la situation”

Pascal Berteaud, directeur de l’eau, souligne qu’un plan d’action est tracé pour qu’en 2015, 80 % des eaux atteignent un bon état qualitatif, ou diposent d’un potentiel recevable.

Référence Environnement : Selon le rapport du professeur Jean-Claude Lefeuvre du Muséum d’histoire naturelle, 50 à 70 % des eaux ne retrouveront pas leur bon état initial d’ici à 2015. Votre réaction ?

Pascal Berteaud : Ce rapport est une compilation des analyses réalisées par les Agences de l’eau. S’il apparaît alarmant, il faut toutefois souligner que ce mauvais état des eaux risque d’être atteint seulement si rien n’est fait. Or notre rôle est bien de tout mettre en œuvre, avec un plan d’action précis, pour que ce mauvais scénario n’arrive pas. Aujourd’hui, si nous regardons en détail le classement des eaux, 20 à 25 % sont tellement modifiées par les activités humaines qu’il sera difficile de revenir en arrière et qu’il faudra leur fixer un objectif adapté prévu par la directive, le bon potentiel écologique. Pour les autres gisements, soit près de 80 % des masses d’eau, il faut que la qualité soit bonne. C’est du domaine du possible d’ici à 2015 pour la plupart d’entre elles. Pour certaines, les moins nombreuses possibles, un dispositif de dérogation est aussi prévu dans la directive, nous laissant ainsi plus de temps, avec une échéance à 2021 et à 2027. Et puis, je tiens à souligner qu’il faut quand même relativiser. En dix ans, nous pouvons y arriver.

RE : Le plan d’action est donc inscrit dans la loi sur l’eau en cours de préparation, pouvez-vous rappeler les grandes lignes ?

P. B. : Deux types d’outils sont mis en place : le réglementaire et le financier. L’idée est de concilier les deux pour obtenir un résultat. Longtemps, les eaux ont été polluées par les rejets industriels et domestiques. Ces derniers masquaient les autres polluants. Les industriels et les villes sont désormais bien équipés en station d’épuration, ces pollutions sont contenues. Les deux secteurs sur lesquels il faut agir sont le milieu naturel aquatique et la pollution diffuse, notamment d’origine agricole. Dans le cadre de la loi sur l’eau, nombre de mesures vont être prises notamment par le biais des Agences de l’eau. Après concertation, des bonnes pratiques agricoles et certaines mesures pourront être rendues obligatoires au niveau des bassins versants. À cet égard, il ne s’agit pas de revenir à une agriculture ancestrale, ni de recréer les paysages du xixe siècle, mais un juste compromis doit être trouvé. Et, si mettre des haies et des bandes enherbées a un coût pour l’agriculteur, il ne faut pas oublier que les aides Pac – 9 Md€ – seront attribuées dans ce cadre, ainsi que des aides des agences de l’eau. Nous n’avons pas souhaité taxer les agriculteurs sur le volet nitrates car nous pensons que, d’un point de vue technique, la conditionnalité des aides Pac sera plus efficace.

R.E. : Les contrôles vont-ils être renforcés ?

P.B. : Nous avons réorganisé le service de la police de l’eau. Début 2006, chaque département disposera de son équipe et bien évidemment, les contrôles vont être renforcés.

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