Sécurtié alimentaire : quelles responsabilités pour les entreprises

20 novembre 2005 - La rédaction 
Qu’induit la nouvelle donne réglementaire européenne sur la sécurité alimentaire en matière de responsabilité des entreprises du secteur agricole et agro-alimentaire ? Antoine de Brosses, avocat à la cour et spécialisé sur le secteur de l’agro-industrie répond à Référence environnement.

Antoine de Brosses, avocat spécialisé en agro-industrie : “Le vrai changement va être l’allégement du réglementaire”.

Référence environnement : Quelle est la responsabilité des metteurs en marché dans le cadre du règlement 178/2002, soit la “food law”, notamment en termes de traçabilité ?

Antoine de Brosses : D’une part, la traçabilité est une obligation. Elle s’applique à tous les acteurs de la chaîne alimentaire, sauf à la grande distribution qui ne trace pas jusqu’au consommateur. Attention, le fait de mettre en place un système de traçabilité qui satisfait la législation n’est pas toujours suffisant pour répondre à la question de la responsabilité qui peut nécessiter un outil plus sophistiqué. Si l’industriel ne répond pas à cette nouvelle exigence, il prend d’énormes risques : en cas de problème, il sera tenu pour responsable s’il ne peut justifier des documents de traçabilité. La traçabilité est plus complexe dans la filière agro-alimentaire que dans d’autres secteurs car la chaîne potentielle de responsabilité est plus grande.
Parce que le règlement 178/2002 demande de contrôler la conformité du produit aux normes européennes, il impose l’autocontrôle des marchandises dans les entreprises, qui peut être réalisé en interne ou en externe par un contrôleur privé (laboratoire d’analyse). Ce règlement implique donc de définir son système d’organisation en prenant en compte la question de la responsabilité.

R.E. : Quels sont les devoirs du laboratoire d’analyse ?

A. de B. : La responsabilité du laboratoire est d’abord contenue dans un contrat qui rend généralement celui-ci responsable en cas de défaut d’analyse, de mauvaise qualité des prélèvements, de perte des échantillons, de non-respect des méthodes d’analyse, d’erreur ou d’oubli dans la réalisation de l’analyse, de retard dans la communication des résultats. Ensuite, le laboratoire a une obligation de renseignement et de conseil. Souvent, il croit se dédouaner derrière la phrase “le résultat d’analyse ne porte que sur le lot soumis à l’essai”. Or, cela n’a rien à voir avec l’obligation de conseil ! Cette phrase signifie juste que le laboratoire n’est pas responsable de ce qu’il n’analyse pas. En tant que professionnel de l’autocontrôle, il doit alerter le client s’il lui semble que les analyses demandées ne sont pas suffisantes. Il peut y avoir une condamnation pour ne pas avoir fourni un conseil.

Liberté à double tranchant

“Le règlement 178/2002 donne plus de liberté de moyens aux professionnels pour satisfaire les obligations données par les textes, constate Gilles Boin, avocat à la cour du cabinet Simmons et Simmons. Mais il accroît les exigences de justifications et de responsabilités. D’où la nécessité de l’autocontrôle et des certifications.” Une liberté qui apparaît pour certains comme plus difficile car les procédures à mettre en œuvre ne sont plus définies par le règlement. Au professionnel de réaliser son autocontrôle, sa veille documentaire et de bien utiliser les informations mises à sa disposition. “Beaucoup de contaminants ne sont pas encore définis, constate néanmoins Michel Blanc, animateur du réseau de laboratoires Experagro. Or, si par exemple des articles scientifiques laissent à penser que certains sont dangereux, le professionnel devra le notifier.”

M.-P.C.

R.E. : Et les devoirs des services officiels ?

A. de B. : Les textes du paquet hygiène (1), notamment le 854/2004 et 882/2004, définissent avec plus de précisions les droits et obligations des services officiels. Ils doivent, en cas de problèmes, retirer ou suspendre les autorisations d’exploitations, rappeler les produits contaminés, imposer des mesures correctrices, voire fermer les chaînes ou site de fabrication. Néanmoins, c’est une obligation qui intervient en second niveau, et relève dans la majorité des cas de la responsabilité administrative, rarement du pénal. Et surtout, elle n’allège en rien la responsabilité des autres maillons de la chaîne !

R.E. : D’ailleurs, qu’est-ce qui va changer en matière de responsabilité à partir de janvier 2006 ?

A. de B. : Le vrai changement va être l’allégement du réglementaire. Les guides de bonnes pratiques d’hygiène vont se développer.

Ce qui entraînera sûrement plus de proximité avec le terrain. Néanmoins, les industriels devront avoir une vraie démarche volontaire. Le paquet hygiène s’inspire des principes de la méthode HACCP, laquelle n’est cependant pas obligatoire.

R.E. : Quelle est la responsabilité d’un industriel qui importe de la marchandise en France ?

A. de B. : Quand une société importe une marchandise, elle est responsable de sa mise sur le marché. L’autocontrôle doit être fait par l’acheteur, l’analyse du fournisseur n’étant pas reconnue par la justice. Pour l’achat dans les États membres, les contrôles des services officiels du pays membres suffisent.

(1) Le “paquet hygiène”, composé de 5 textes législatifs qu’a adoptés l’UE, vise à refondre, harmoniser et simplifier les dispositions très détaillées et complexes en matière d’hygiène qui étaient dispersées dans 17 directives communautaires. L’objectif général est de mettre en place une politique unique et transparente en matière d’hygiène, applicable à toutes les denrées alimentaires et à tous les exploitants du secteur alimentaire, et à créer des instruments efficaces pour gérer la sécurité alimentaire et d’éventuelles crises alimentaires futures, sur l’ensemble de la chaîne alimentaire. La nouvelle législation relative à l’hygiène sera d’application à partir du 1er janvier 2006.

L’affaire de l’abattoir de la Soviba, de l’administratif au pénal

L’abattoir de la Soviba, situé au Lion-d’Angers (49) et filiale de la coopérative agricole des Pays de la Loire Terrena, est au cœur d’une affaire de sécurité alimentaire. Le groupe de distribution E. Leclerc a en effet annoncé le 30 octobre 2005 qu’il procédait au rappel de trois lots de steaks hachés surgelés Chantegril – la marque de distributeur exclusive des magasins E. Leclerc fabriqués par Soviba – à la suite “d’intoxication alimentaire grave” de 18 personnes.

Comment Soviba a réagi face à cette situation ? Tout d’abord, Leclerc a immédiatement prévenu la société, laquelle, grâce à son système de traçabilité a pu rapidement identifier les lots en questions. Soviba a ensuite recouru au rapatriement de la totalité de la marchandise provenant de ces lots qu’elle a mise sur le marché (obligation réglementaire), a procédé à une contreanalyse qui a démontré le caractère ponctuel de la contamination, et averti les services vétérinaires. Ils ont débuté une enquête administrative, encore en cours, afin de lever les éventuels points de dysfonctionnement dans le système de suivi des lots, des autocontrôles, des systèmes d’alerte, ou encore de la formation du personnel…

Dernier rebondissement de l’affaire : le 22 novembre 2005, une plainte contre X pour “mise en danger de la vie d’autrui, blessures involontaires et infraction au code de la santé” a été déposée par la mère du petit Kephen, 7 ans, une des 18 personnes intoxiquées. L’affaire a alors pris une tournure pénale. “On est passé à une logique de punition et d’indemnisation, explique Antoine de Brosses. Pour que la plainte trouve une issue positive, il faut un défaut constaté, un préjudice corporel, un lien de causalité entre les deux éléments, et prouver que la personne poursuivie n’a pas fait tout ce qui était nécessaire pour éviter ce délit.” L’enquête, lancée par le tribunal de grande instance d’Agen, va donc s’ajouter à celle des services vétérinaires, mais devrait s’appuyer sur cette dernière.

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