“Vers une prise en compte plus explicite des critères environnementaux”

20 novembre 2005 - La rédaction 
Pour la ministre de l’Écologie, l’agriculture rend des services environnementaux en matière de paysages et de biodiversité. Mais des efforts restent encore à accomplir dans l’utilisation des intrants – engrais et pesticides – et dans la gestion de la ressource en eau. Il lui semble primordial de “valoriser les externalités positives environnementales de l’agriculture en les intégrant dans les objectifs des politiques agricoles et dans les instruments de soutien.”

Nelly Olin est ministre de l’Ecologie et du Développement durable depuis le 3 juin 2005. Elle était auparavant ministre déléguée à l’Intégration.

Référence environnement : Quels sont les chantiers prioritaires dans votre ministère pour 2006 dans le domaine agricole ?

Nelly Olin : Le premier chantier concerne les discussions sur la future politique de développement rural qui doit contribuer à la mise en œuvre des directives communautaires concernant le réseau Natura 2000 ainsi que la directive cadre sur l’eau. Les fonds doivent être utilisés pour la mise en œuvre de mesures agri-environnementales prioritairement ciblées sur des zones à enjeux identifiés pour l’eau et la biodiversité, à travers les sites Natura 2000 et les bassins versants prioritaires au titre de la directive cadre sur l’eau.
Le deuxième chantier est l’achèvement du réseau Natura 2000. Tous les documents d’objectifs seront finalisés en 2010. Le troisième chantier porte sur l’adoption du projet de loi sur l’eau. L’enjeu principal est le respect des objectifs de la directive-cadre sur l’eau, en particulier atteindre en 2015 le bon état écologique sur les trois quarts des masses d’eau, alors qu’aujourd’hui cet objectif n’est atteint que sur la moitié. Il est impératif par ailleurs, comme la directive-cadre y engage, d’assurer une meilleure participation des usagers à la gestion des services d’eau et d’assainissement et des milieux aquatiques. Je rappelle que parmi les grands axes du présent projet il y a la lutte contre les pollutions diffuses, la reconquête de la qualité écologique des cours d’eau, la rénovation de l’organisation institutionnelle, notamment des agences de l’eau et du conseil supérieur de la pêche.

Dans le cadre de la réactualisation du plan climat qui interviendra à l’été 2006, il s’agira de poursuivre les efforts entrepris par le secteur agricole pour réduire les émissions du secteur agriculture et forêts. Ces dernières représentent 18 % des émissions totales françaises. Je suis favorable à l’intégration, dans les orientations des politiques agricoles et dans les nouveaux modes de développement agricoles, de dispositions relatives à la lutte contre l’effet de serre. Les mesures qui permettent des réductions doivent être amplifiées que cela soit dans le cadre de la maîtrise des fertilisations azotées, d’actions pilotes de développement de nouvelles pratiques agricoles, de la réduction de la consommation de carburant des tracteurs ou bien de la collecte et de la valorisation du biogaz provenant des déjections animales et des industries agro-alimentaires.

La valorisation et le développement des produits issus de la biomasse (développement des biocarburants, du bois énergie et du bois construction) constituent également une mesure importante dans la lutte contre le changement climatique. Ils vont connaître un développement important avec, d’une part, l’avancement de l’objectif de 5,75 % d’incorporation de biocarburants à 2008 au lieu de 2010 et de nouveaux objectifs en 2010 et 2015 respectivement 7 % et 10 %, et, d’autre part, le plan biomasse 2006-2015 qui sera annoncé en avril 2006. Comme il a été rappelé dans le plan climat, il convient que ce développement ne se fasse pas au détriment des autres composantes de l’environnement : air, sols, ressource en eau. C’est pourquoi comme le propose le rapport de la mission sur l’optimisation du dispositif fiscal en faveur des biocarburants paru récemment, je suis favorable à l’intégration d’un critère de très bonnes pratiques agricoles et environnementales dans les appels d’offres pour les agréments de biocarburants.

R.E. : Comment jugez-vous les pratiques agricoles actuelles par rapport à l’environnement ?

N.O. : Pour l’heure, elles apparaissent insuffisantes comme a pu le montrer la synthèse des relations entre agriculture et environnement réalisée dans le cadre du rapport de la commission des comptes et de l’économie de l’environnement. Je prendrai trois exemples. Le premier est relatif à la ressource en eau. Celle-ci reste encore très sollicitée par l’activité agricole. Les volumes d’eau consommés par l’irrigation représentent sur l’année environ la moitié des volumes totaux consommés et atteignent 80 % de ceux consommés pendant la période estivale qui est la période la plus sensible pour les milieux naturels. Le deuxième concerne la pollution d’origine azotée. Les activités agricoles seraient responsables des deux tiers des pollutions actuelles. 25 % des points suivis dans les eaux souterraines présentaient en 2001 des teneurs approchant ou dépassant la norme de potabilité de 50 mg/l. Enfin, pour les pesticides que l’on retrouve dans les trois quarts des cours d’eau et la moitié des nappes souterraines, l’agriculture représente 90 % de la consommation.
Cette situation résulte d’abord des objectifs initiaux des politiques agricoles qui étaient l’accroissement de la productivité, la sécurité d’approvisionnement et la stabilisation des marchés ce qui s’est traduit par une intensification et une spécialisation des exploitations agricoles. Ce n’est que progressivement que l’environnement a été pris en compte. Inversement, je dois reconnaître que les politiques à visée environnementale se sont d’abord préoccupées des réponses à apporter par domaine (eau, air, nature) en abordant l’agriculture dans le seul but de limiter ses impacts négatifs sur l’environnement.
Aujourd’hui, il s’agit pour reprendre le langage des économistes de valoriser les externalités positives environnementales de l’agriculture en les intégrant dans les objectifs des politiques agricoles et dans les instruments de soutien à l’agriculture. L’agriculture rend des services environnementaux en matière de paysages et de biodiversité. Elle joue un rôle important dans la prévention ou la limitation des conséquences de risques naturels telles que les crues, l’érosion ou les incendies. A contrario, certains modes de soutiens publics ont des effets négatifs sur l’environnement (intensification) et doivent être en conséquence modifiés.

R.E. : Les productions sous signes de qualité vous semblent-elles engagées dans un schéma de respect de l’environnement ?

N.O. : Concernant les produits bénéficiant de signes de qualité, hormis pour l’agriculture biologique, l’impact des pratiques agricoles sur l’environnement est très peu pris en compte dans les cahiers des charges à respecter. Le mode de production de ces produits peut donc, comme les autres modes de production agricoles, donner lieu à des pressions non négligeables sur l’environnement : les exploitations viticoles, y compris celles dont les produits bénéficient d’une AOC, ont par exemple généralement recours à une utilisation particulièrement importante de produits phytosanitaires. Or, de nombreux consommateurs associent inconsciemment la qualité des produits et la qualité de l’environnement, il serait intéressant que les AOC créées récemment évoluent vers une prise en compte plus explicite des critères environnementaux dans leurs cahiers des charges. En outre, l’inclusion de critères environnementaux rendrait plus efficace la protection des signes officiels de qualité auprès de l’OMC

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