Fongicides SDHI, entretien avec Gérard Lasfargues, directeur général délégué du pôle sciences pour l’expertise de l’Anses

11 septembre 2019 - Laure Hänggi 
Un an après la parution d’une tribune signée d’un collectif de médecins et de chercheurs dans Libération, le débat est toujours vif sur les fongicides agricoles de la famille des SDHI. Pour éclairer ce dossier, Gérard Lasfargues, directeur général délégué du pôle sciences pour l’expertise de l’Anses, a répondu à nos questions, dans le numéro 3 du magazine Culture Agri à paraitre le 16 septembre.

Crédit Terre-écos / Culture AGRI

Selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), aucun élément ne permet, à ce jour, de confirmer l’existence d’une alerte liée à l’utilisation de fongicides de la famille des SDHI. Un avis a été émis en ce sens en janvier 2019 suite à l’alerte d’un collectif de scientifiques emmené par Pierre Rustin, directeur de recherche au CNRS-Inserm. Mais les investigations se poursuivent avec, entre autres, la commande de nouvelles études indépendantes en parallèle des travaux de l’agence.

Dans notre magazine Culture Agri à paraitre le 16 septembre, le professeur Gérard Lasfargues, directeur général délégué du pôle sciences pour l’expertise de l’Anses, fait le point sur ce dossier. Entretien exclusif.

Gérard Lasfargues, directeur général délégué du pôle sciences pour l’expertise à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (crédit photo Anses/b. Holsnyder).

Culture Agri : Existe-t-il une divergence d’avis entre certains scientifiques et l’Agence sur les fongicides SDHI ? Que remontent les études que vous avez examinées ?

Gérard Lasfargues : De quoi parle-t-on ? L’alerte sur les inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHI) du collectif de scientifiques s’appuie sur des travaux qu’ils mènent sur des maladies génétiques liées au blocage permanent et irréversible chez l’homme de l’enzyme SDH, laquelle entre dans le processus de la respiration des cellules. Ces maladies étant associées à certains cancers rares, Pierre Rustin en déduit que les SDHI pourraient être responsables de maladies graves. L’Anses a demandé au collectif de lanceurs d’alerte les données scientifiques étayant cette hypothèse. Les données fournies concernaient les maladies génétiques et les mécanismes de blocage de la SDH. À ce jour, il n’a pas été fourni de données sur les effets toxiques des SDHI, que ce soient des effets cancérogènes ou autres.

Suite à l’alerte du collectif, nous avons engagé une expertise collective indépendante mobilisant des chercheurs reconnus pour leur connaissance en toxicologie. À ce stade, sur la base des données scientifiques disponibles, les experts ont conclu à l’absence de signal d’alerte, que ce soit dans l’environnement ou pour la santé humaine. Ils ont indiqué que le niveau des expositions alimentaires totales rapportées aux seuils toxicologiques actuellement établis est faible et que les dépassements de limites maximales de résidus pour ces substances actives sont exceptionnels.

Les travaux de l’Agence sont-ils remis en cause selon le collectif d’alerte ?

G.L. : Pour rendre son avis en janvier, le groupe de travail réuni par l’Anses a examiné les données toxicologiques et environnementales des industriels déposées dans le cadre des dossiers d’homologation, mais également toute la littérature scientifique existante. Ces données concernent les molécules et leurs métabolites, obtenus après dégradation. Il a aussi bien sûr auditionné le collectif de lanceurs d’alerte. Aujourd’hui, de nombreux travaux sont engagés sur les SDHI. Si des données nouvelles mettaient en évidence un risque conduisant à retirer une autorisation de mise sur le marché de ces fongicides, nous le ferions immédiatement, comme nous l’avons fait pour d’autres produits à plusieurs reprises.

Depuis plusieurs mois, nous multiplions les échanges avec les experts et organismes concernés, en France et au niveau international, pour pouvoir faire des points d’étape réguliers. Nous avons demandé à l’Inserm, dans le cadre de l’expertise collective en cours sur les pesticides, de se pencher en priorité sur les fongicides SDHI. Nous avons également interrogé les scientifiques responsables de la cohorte Agrican* en France, pour regarder d’éventuels effets des SDHI, certains étant commercialisés depuis le début des années 1980. Par ailleurs, nous n’avons pas reçu d’éléments nouveaux de la part d’organismes scientifiques de recherche ou d’expertise, européens comme américains.

Enfin, l’Anses poursuit la collecte de données de terrain et de données d’exposition via son programme de phytopharmacovigilance (PPV) pluriannuel, déployé à l’échelle nationale.

Les aspects épigénétiques sont-ils pris en compte dans les éléments du dossier d’homologation ?

G.L. : L’objet de ces dossiers est de rechercher la toxicité et notamment des effets cancérogènes, quel que soit le mécanisme d’action sous-jacent. À cet effet, les industriels ont l’obligation de fournir des études de cancérogenèse sur au moins deux espèces animales. Par ailleurs, l’Anses prend en compte les études de la littérature scientifique sur ces mêmes questions dans ses processus d’évaluation. À ce jour, il n’y a pas d’éléments qui permettraient d’affirmer Un caractère cancérogène avéré ou probable des SDHI et qui conduiraient à les retirer du marché.

Le groupe d’experts a écarté l’existence d’une alerte sanitaire mais a tout de même soulevé des incertitudes résiduelles.

 Lancez-vous de nouvelles recherches ?

G.L. : En cas d’incertitudes même résiduelles, il est effectivement essentiel de pouvoir conduire des travaux complémentaires. Par exemple, les interrogations existent sur de possibles « effets cocktails », c’est pourquoi l’Anses s’est auto-saisie, en 2019, de la question des expositions cumulées aux différents SDHI via l’alimentation et conduit des travaux sur ce sujet.

Des travaux sont par ailleurs engagés ou en cours d’évaluation pour être financés par l’Anses, dont certains sont pilotés par des scientifiques du collectif de lanceurs d’alerte. Parmi les nouveaux projets figurent des études de toxicité mais aussi des études mécanistiques visant, par exemple, à investiguer d’éventuels effets épigénétiques des fongicides SDHI. La possibilité d’explorer les données d’un registre de tumeurs rares liées à une mutation sur l’un des gènes SDH a aussi été validée.

Au-delà de la question des SDHI, l’Anses s’efforce d’améliorer continuellement les connaissances relatives aux dangers, aux expositions et aux risques des produits phytopharmaceutiques et de contribuer au renforcement des dispositifs réglementaires existants.

* Agrican : 180 000 agriculteurs affiliés MSA

léchargez l’article, extrait de Culture Agri n° 3 – Septembre 2019 au format PDF :
CULTURE AGRI N3 – SDHI, Entretien Gérard Lasfargues (Anses)

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2 commentaires sur “Fongicides SDHI, entretien avec Gérard Lasfargues, directeur général délégué du pôle sciences pour l’expertise de l’Anses

  1. Bravo et merci pour cette interview éclairée et construite, pour cet intervenant vraiment qualifié, bien loin des habituels raccourcis et tons alarmistes qui sont légion sur ce sujet.

  2. Bravo et merci pour cette interview éclairée et construite, pour cet intervenant vraiment qualifié, bien loin des habituels raccourcis et tons alarmistes qui sont légion sur ce sujet.

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