Sécheresse d'une ampleur inédite en 2022, affrontements sur le chantier de construction d'une réserve d'eau à Sainte-Soline et annonce d'un plan eau de 53 mesures par Emmanuel Macron, fin mars... La thématique de la gestion de l'eau est désormais une question prioritaire en France et agite l'actualité. D'autant plus que l'été 2023 s'annonce encore plus difficile que le précédent, selon les météorologues. Face à cette situation, quel rôle peuvent jouer les filières agricoles ? Éléments de réponse avec Elisa Mitko, responsable gestion de l’eau chez Agrosolutions, cabinet en agroécologie du groupe coopératif InVivo.
Culture Agri : Les modélisations prévoient une baisse de la ressource en eau de -10 à -50% (1) et un doublement de la demande à l’horizon 2045 – 2065 (2) : quels sont les chiffres exacts ?
Elisa MITKO : L’agriculture est la principale activité consommatrice d’eau en France, avec 45% des volumes d’eau consommés (eaux prélevées non restituées aux milieux aquatiques). Les ressources en eau sont globalement suffisantes, mais mal réparties spatialement et temporellement. (3) On observe ainsi une augmentation de 15 % des surfaces agricoles irriguées depuis 2010 (avec un record de +78% pour les Hauts-de-France) (4). Les sécheresses agricoles représentent 55% des dommages et indemnisations ces dernières années. Les coûts de l’irrigation sont quant à eux en hausse (x 1,7 entre 2008 et 2016), le prix de l’énergie contribuant de manière non négligeable à cette évolution (5).
Culture Agri : Quelles solutions existent pour associer les filières agricoles à la gestion de l’eau ?
E.M. : Comme pour le carbone, l’agriculture peut être vue comme une partie de la solution, que ce soit pour la préservation de la qualité des eaux, ou pour un meilleur raisonnement de son usage. Les filières agroalimentaires qui intègrent des volets environnementaux à des cahiers des charges de production ont un rôle à jouer. Mondelez, par exemple, suit des indicateurs de performance pour la préservation des ressources en eau dans son programme Harmony (blé biscuitier LU) et propose une incitation financière à ses fournisseurs via une prime filière. Cette valorisation supplémentaire sur le produit blé entre dans une forme spécifique de paiements pour services environnementaux, PSE, et présente un intérêt fort lié au poids de cette filière. Près de mille agriculteurs en France sont dans ce programme et appliquent ainsi des diminutions d’usages d’intrants.
Au-delà de ces primes filières, d’autres démarches de PSE sont déployées sur les territoires, comme les projets pilotes financés par les Agences de l’Eau. C’est le cas notamment en Adour Garonne, qui avait engagé près de 80 000 hectares de surfaces agricoles dans des projets pilotes en 2020. Il faudra néanmoins aller plus loin, pour définir les valeurs à aller chercher auprès des acteurs privés, en dehors de la chaine agroalimentaire, afin de rémunérer les agriculteurs pour les services qu’ils rendent à la société.
Culture Agri : Quelle sera la place du secteur agricole dans l’utilisation de l’eau ?
E.M. : La préservation de l’accès à l’eau pour l’ensemble des usages est un enjeu capital : ce postulat impose une gestion collective, collégiale et intégrée de l’eau, sans se défaire des usages « non anthropiques », tels que le simple maintien d’un milieu de vie aquatique fonctionnel dans les cours d’eau, ou non économiques, comme les aménités paysagères, par exemple. L’agriculteur et ses partenaires ont un rôle à jouer pour rendre plus sobre leur consommation d’eau (irriguer au bon moment et au bon endroit, avec un bon matériel, choisir un assolement et des variétés moins sensibles aux sécheresses…). Avec les autres acteurs des territoires, la réflexion se fait plus globale, pour atteindre un objectif de ralentissement du cycle de l’eau et de multiplicité des usages de l’eau.
Ainsi, augmenter le stockage dans les sols, les milieux humides ou les nappes phréatiques, ou encore réutiliser l’eau pour des usages successifs, du plus exigeant au moins exigeant, par exemple, seraient des options. Les acteurs de la production ou de l’assainissement de l’eau, ou les collectivités territoriales ont alors toute leur place pour amorcer des projets collectifs, pour coconstruire avec leur partenaires experts les modèles techniques et économiques de gestion de l’eau pour aujourd’hui et surtout pour demain.
(1) https://professionnels.ofb.fr/sites/default/files/pdf/RE_Explore2070_Eaux_Sout_Synthese.pdf
(2) https://agriculture.gouv.fr/telecharger/86258
(3)https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/leau-en-france-ressource-et-utilisation-synthese-des-connaissances-en-2021
(5) http://www.fleuve-charente.net/wp-content/files/Charente2050/2.4_ACTIVITES_Irrigation.pdf