« Le naturel n’est qu’un fantasme »

17 décembre 2012 - La rédaction 

Hervé This dirige le groupe Inra de Gastronomie moléculaire à AgroParisTech et est le co-inventeur de la discipline scientifique de gastronomie moléculaire. Les applications de cette gastronomie sont la « cuisine moléculaire », qu’Hervé This juge aujourd’hui dépassée, et la « cuisine note à note »(1), qu’il estime pouvoir être la prochaine grande tendance culinaire durable.

Qu’y a-t-il de fondamentalement nouveau dans  la cuisine note à note?
C’est un progrès artistique. Tout comme la musique électro-acoustique s’est intéressée aux différentes ondes sonores et a remplacé les instruments traditionnels par des synthétiseurs, la cuisine note à note vise à combiner les composants purs extraits des aliments traditionnels pour concevoir de nouveaux mets, de nouvelles saveurs.

En quoi cela est-il plus durable ?
Une crise de l’énergie s’annonce. Il est tout à fait légitime de s’interroger sur le coût énergétique des transports des aliments. Une tomate contient 95 % d’eau. En extrayant l’eau qui la compose et en ne conservant que les composants purs, les coûts énergétiques liés au transport s’en trouvent considérablement réduits.
Par ailleurs, les fruits et légumes font l’objet d’environ 45 % de gaspillage alimentaire. Avec des produits fragiles, le transport occasionne des dégâts et il est interdit de vendre des produits en partie abîmés. Or si on enlève l’eau des produits dès la ferme, la conservation des éléments serait améliorée.

Quels avantages les agriculteurs pourraient-ils en tirer ?
Avant tout de la valeur ajoutée. Au lieu de livrer directement à bas prix leurs produits, les agriculteurs pourrait les valoriser en effectuant directement sur leur exploitation le fractionnement et éventuellement le craquage. Ces techniques existent déjà pour le lait et le pain, alors pourquoi pas pour les fruits et légumes ? Jean-Louis Escudier de l’Inra(2) de Montpellier a montré les possibilités offertes par le fractionnement de jus de raisin pour en extraire acides aminés, polyphénols, arômes fermentaires… Pareillement, les composés purs obtenus par fractionnement de la carotte par exemple permettraient de donner une valeur beaucoup plus élevée à ce produit. Ces fractionnements sont simples, ils peuvent être réalisés sur l’exploitation même par l’agriculteur.

Mais tout cela n’est plus très naturel…
Mais c’est quoi ce qui est naturel ? Je vous rappelle la définition : c’est ce qui n’a pas été transformé par le travail de l’homme. Alors où est le naturel dans la carotte qui est dans votre assiette : une variété qui a fait l’objet de nombreuses sélections variétales, qui a été conditionnée, transformée et cuisinée. Il n’y a pas d’aliment naturel, c’est un fantasme. Il faut arrêter de se comporter en marchand de peur et inquiéter les citoyens. Il est nécessaire d’expliquer et de réconcilier le citoyen avec son alimentation, et ceci dès l’école. Je ne dis pas que la cuisine note à note est la solution magique pour résoudre la crise de l’énergie, la pénurie d’eau ou la demande alimentaire croissante mais c’est une piste qui mérite d’être étudiée et exploitée.

(1) Alors que la cuisine moléculaire se définit comme la production d’aliments par de nouveaux outils, ingrédients, méthodes, la cuisine note à note abandonne l’usage de mélanges traditionnels d’aliments (viandes, poissons, fruits, légumes) au profit de composés purs.
(2) Inra : Institut national de la recherche agronomique

Pour aller plus loin :
– La séance de l’Académie d’agriculture de France du 19/12/2012 portera sur la cuisine « note à note » et les questions nutritionnelles, toxicologiques, économiques et politiques. En savoir plus.
– Hervé This est l’auteur de nombreux ouvrages dont  “La cuisine note à note en douze questions souriantes” (Ed. Belin, 2012)
Blog consacré à la gastronomie moléculaire.

 

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