« Privilégier un pacte urbain-rural pour une alimentation plus locale », Claire Delfosse, professeur à l’université de Lyon 2

17 octobre 2019 - Eloi Pailloux 
Les habitants des villes sont de plus en plus demandeurs d'aliments locaux, produits au plus proche de chez eux. Une tendance qui draine son lot de questions, voire de contractions. Éclairage avec Claire Delfosse, directrice du laboratoire d'études rurales à l'université de Lyon 2.

Campagnes et environnement : Comment évolue la demande alimentaire dans les villes ?

Claire Delfosse : Quand le souci de donner du sens au contenu de son assiette a émergé, suite notamment au scandale de la vache folle, c’est surtout en ville que les mouvements de consommation sont nés et se sont structurés, particulièrement dans les métropoles. La tendance, aujourd’hui, est au local. De nombreuses métropoles portent des politiques volontaristes dans ce sens, par exemple faisant de l’installation d’agriculteurs une priorité dans la gestion du foncier périurbain. Lancés en 2014, les premiers projets alimentaires territoriaux (PAT), qui associent les collectivités et les producteurs d’un même territoire, se sont développés autour des métropoles. Les habitants des villes eux-mêmes se font actifs, avec par exemple une association comme Terre de liens, à travers laquelle des citadins participent à l’installation d’agriculteurs.

Comment cette dynamique se concrétise-t-elle ?

C.D. : Il existe des leviers très « logistiques ». Dans les grandes métropoles, la place manque pour les grandes et moyennes surfaces qui sont le plus souvent implantées en périphérie. Alors que les marchés, souvent approvisionnés localement, gardent leur place au cœur de la ville. Les municipalités ont de plus en plus d’intérêt pour ces marchés, qu’ils promeuvent. L’émergence d’un concours du plus beau marché de France est un signe. Par ailleurs, de nombreuses villes, même « modestes », appuient leur rayonnement, sur la gastronomie, avec un lien fort à l’agriculture de son territoire : le Brie de Meaux, la quenelle de Nantua, la fourme de Montbrison… Ce rayonnement est parfois très localisé. C’est le cas du bleu de Gex, produit à de petits volumes, mais dans une zone où la population est financièrement plutôt aisée, et susceptible de valoriser directement le fromage sur place. Plus globalement, la notion de tourisme gastronomique est en pleine progression.

Le « local » est-il le seul critère rassurant pour le consommateur urbain ?

C.D. : Dans les années 1990, ce sont les produits « de terroir », porteurs d’authenticité et de la notion « d’artisanal », qui ont représenté le principal motif de réassurance pour les consommateurs. Une période marquée par l’essor des signes de qualité de d’origine (SIQO). Mais aujourd’hui, on cherche à ne pas s’empoisonner et on favorise par ailleurs des aliments aseptisés qui étaient plutôt garantis par la modernisation du système agro-alimentaire des années 1970. Or celui-ci est très décrié, c’est l’aliment issu de l’agriculture biologique, qu’elle soit industrielle ou fermière qui prend de l’importance. L’aliment local parce qu’il est proche, on en connaît l’origine, et frais, est aussi mis en avant.

Quelle est la place de l’agriculture urbaine dans ce contexte ?

C.D. : L’agriculture urbaine va au bout de cette idée, avec le concept de « produire soi-même » ou de produire au sein de l’espace urbain, voire dans les communes périurbaines proches. Mais les volumes concernés restent limités. La ville la plus « autonome » est aujourd’hui Avignon, avec seulement 8,1 % des aliments produits sur place. Cette agriculture peut contribuer à améliorer le degré d’autonomie des villes, mais on n’aboutira jamais à une autosuffisance complète, et l’agriculture des espaces ruraux a besoin des débouchés urbains. Je pense que la notion de pacte local « urbain-rural » est à privilégier.

Quels sont les freins à un tel pacte ?

C.D. : Même à l’échelle d’un département, il est difficile d’atteindre l’autosuffisance, car tous ne produisent pas, en diversité, l’ensemble des aliments nécessaires à un alimentation équilibrée pour ses habitants. Par ailleurs, les conflits entre agriculteurs et habitants des zones périurbaines montrent que l’équation n’est pas si évidente. Vouloir des aliments produits le plus proche possible, quand on n’accepte pas le bruit ou l’odeur d’élevage dans le voisinage, ou les tensions actuelles au sujet de la pulvérisation de pesticides à proximité des habitations, sont des exemples concrets de la complexité d’articuler une offre et une demande très localisées.

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