Agriculture intégrée : tout faire pour réduire les intrants

20 mars 2005 - La rédaction 
Pour allier performance environnementale et performance économique, Agro-Transfert Picardie, structure chargée d’assurer le relais entre la recherche et le développement agricole, planche sur l’agriculture intégrée. Une démarche globale et préventive pour limiter le recours aux intrants sans dégrader les marges.

La production intégrée, qu’est-ce que c’est ?

L’objectif de l’agriculture intégrée est de produire de façon économiquement viable des produits de bonne qualité, respectueux de l’environnement et de la santé.

Elle diffère de l’agriculture raisonnée, basée sur la seule optimisation des méthodes classiques de production. En agriculture raisonnée, les agriculteurs ne traitent que s’il le faut, au bon moment et avec une dose adaptée. La production intégrée utilise aussi les techniques alternatives, comme la lutte biologique, qui peuvent parfois être des méthodes tout aussi efficaces et plus respectueuses de l’environnement.

La production intégrée se distingue aussi de l’agriculture bio car elle n’abandonne pas les méthodes classiques lorsqu’elles ont fait leur preuve pour assurer des rendements corrects à l’agriculteur, en particulier lors d’années climatiques défavorables. Comme son nom l’indique, la production intégrée “intègre” tous ces éléments. S’il est nécessaire d’employer un engrais chimique, alors il sera utilisé. Si une méthode biologique peut se substituer à une méthode classique alors elle le sera. On applique ce qui est le mieux pour l’environnement, le consommateur et l’agriculteur qui doit vivre de sa production.

Comment réduire l’utilisation des intrants tout en maintenant voire en améliorant les performances économiques ? Face à cette demande de la profession agricole, Agro-Transfert Picardie étudie la protection intégrée depuis 1998. Au départ limité au blé, le programme concerne maintenant l’ensemble des grandes cultures. “Nous mettons en place toutes les stratégies préventives pour que les traitements phytosanitaires soient le dernier recours”, explique Pierre Mischler, le responsable du projet. Avec des procédés alternatifs s’appliquant soit à la plante, soit aux ennemis des cultures, soit aux auxiliaires des plantes ou encore à l’environnement.

Une mission complexe mêlant agronomie, physiologie, malherbologie, machinisme et économie. “Notre travail sur l’agriculture intégrée s’apparente à un véritable puzzle qu’il faut construire”, explique Marc Chopplet, le directeur d’AltenatecH, dont Agro-Transfert est une section. “L’objectif est très ambitieux et nous n’avons pas encore une vue complète du dispositif. Nous sommes dans une phase de synthèse des travaux.” Agro-Transfert, chargé d’assurer le relais entre la recherche et le développement agricole, s’appuie sur des études de l’Inra et des instituts techniques, des essais réalisés par les Chambres d’agriculture et des techniques utilisées en agriculture biologique. Les itinéraires sont expérimentés, puis validés dans des exploitations agricoles.

En blé, moins d’intrants, plus de marge

Un itinéraire technique sur blé d’hiver en protection intégrée a été validé par Agro-transfert, l’Inra et les Chambres d’agriculture de Picardie, avec trois années d’essais et plus de 63 situations à l’appui. Au programme : prise en compte du précédent, choix de variétés résistantes aux maladies et à la verse, retard de la date de semis et diminution de la densité de 30 %. Sauf exception, les régulateurs de croissance sont abandonnés. L’apport d’azote s’adapte au potentiel de la culture. Fongicides et insecticides sont appliqués selon des seuils d’intervention.

Même si les rendements diminuent en moyenne de cinq quintaux par hectare par rapport à une conduite de référence raisonnée, l’économie se perçoit grâce à la diminution d’intrants. La marge brute s’améliore de 45 €/hectare en moyenne, grâce à cette économie de charges opérationnelles de l’ordre de 90 €/hectare. Dans neuf cas sur dix, l’itinéraire intégré dégage une marge brute supérieure ou égale à l’itinéraire de référence. La conduite intégrée n’a aucune incidence sur le PS (poids spécifique : masse naturelle des grains à l’hectolitre) ou le taux de protéines. Par contre le risque de mycotoxines diminue (toxines élaborées par diverses espèces de champignons microscopiques).

Utiliser l’agronomie

Pour le blé tendre – 50 % de la surface cultivée picarde – l’itinéraire technique conçu en semis tardif induit une baisse significative des intrants. Moins de semences, moins d’azote, moins de fongicides, moins d’insecticides et pas de régulateurs. Le tout avec des marges légèrement supérieures (voir encadré ci-dessous). “Dans ce programme, nous avons joué sur le choix de la variété, la date et la densité de semis ainsi que la fertilisation azotée”, précise Pierre Mischler. Avec, au final, deux à cinq passages de pulvérisateur en moins par culture. Des tests sur semis précoce en blé sont en cours. “Les résultats s’avèrent prometteurs, avec des techniques proches de celles utilisées en semis tardif”, dévoile-t-il.

Raisonner la succession des cultures

Mais dans ces itinéraires proposés, les doses de désherbants ne varient pratiquement pas. Or, ils constituent 60 % de la quantité de matière active utilisée en grandes cultures. “Pour cette problématique, nous devons passer à un raisonnement intégrant la succession des cultures”, poursuit Pierre Mischler. Dans la lutte contre les adventices (mauvaises herbes), la rotation s’avère prépondérante. L’idéal étant d’alterner les cultures d’hiver et celles de printemps pour ne pas sélectionner un type de flore. Autre élément clé de la levée des adventices, la date de semis et la gestion des intercultures. Il faut intégrer aussi la biologie des adventices (périodes de levées, taux annuels de décroissance – viabilité des graines après un an en terre). “Le travail du sol reste un levier fondamental du destockage d’adventices”, insiste Pierre Mischler. Avec le labour pour lutter contre les graminées ou le déchaumage pour les faux-semis. Autre voie prometteuse, le désherbage mécanique avec la houe rotative et le désherbinage (traitement localisé associé au binage).

Combiner les pratiques

Des pistes qui sont testées dans huit fermes picardes de référence. Progressivement, les agriculteurs y conduisent la totalité de leur culture en protection intégrée. Avec une grande diversité. Certains sont adeptes du labour, d’autres de techniques culturales simplifiées. “Il n’existe pas de recettes toutes faites en agriculture intégrée, reconnaît le chargé du projet. Les agriculteurs combinent des pratiques agronomiques selon leur optique et leurs possibilités.” Les confrontations entre chercheurs, agriculteurs et agents de développement aboutissent à une coconstruction. Les instituts techniques ITB et Cetiom participent aussi au programme. Pour la betterave, les pistes combinent gestion de l’interculture, baisse de densité de semis, absence de désherbage en prélevée, choix de variétés tolérantes aux maladies, localisation d’azote et utilisation de seuil d’intervention. On peut citer, pour le colza, le mélange de variétés dans la lutte contre les méligèthes (insecte). Et le désherbage mécanique sur la plupart des cultures.

Sans compter les expérimentations qui se mettent en place dans les autres régions. La Chambre régionale de Bourgogne, la Chambre d’agriculture marnaise, les Poitevins et les Normands approfondissent ces questions. Au niveau européen un réseau de chercheurs existe aussi. Une préoccupation d’actualité !

Hugues Demarest, agriculteur à Annois dans l’Aisne

Des économies et le respect de l’environnement

“Au départ, je souhaitais diminuer mes charges. Dans l’impossibilité de réduire mes coûts de mécanisation, baisser mes intrants restait mon seul levier. Progressivement, j’ai diminué mes doses de semis de blé d’environ un tiers par rapport à la dose recommandée, je suis passé aux semences de ferme et j’ai diminué mes régulateurs. Aujourd’hui, je n’utilise plus de régulateurs, mes blés sont moins malades et je ne traite qu’en dernier recours. Après une observation minutieuse, j’ai aussi réduit les doses. En amont, je choisis des variétés résistantes. Je travaille sur mes rotations afin de diminuer la pression des mauvaises herbes et maladies. L’idéal étant d’échelonner les dates de semis à différentes périodes de l’année afin de ne sélectionner aucune flore, avec une alternance culture de printemps, culture d’hiver. J’expérimente une houe rotative pour le désherbage. La charrue déchaumeuse pourrait aussi être une voie intéressante. En tant que responsable à la commission “eau” de la Chambre d’agriculture, je suis très sensible aux attentes des consommateurs et aux problèmes environnementaux. Tout doit être fait pour diminuer l’utilisation des produits chimiques. Je pense que l’agriculture raisonnée évoluera à moyen terme vers l’agriculture intégrée. L’agriculture intégrée me permet d’augmenter mes marges, malgré une prise de risque plus importante. Et surtout, je réponds aux attentes sociétales sur l’environnement.”

Pour aller plus loin

www.iobc-wprs.org (Organisation internationale de la lutte biologique et intégrée)

• Protection intégrée du blé tendre d’hiver : itinéraire technique en Picardie ; perspectives agricoles n° 283, oct. 2002.

• Une troisième voie en grande culture. Viaux Philippe (1999), 211 p. ITCF – Pierre Mischler, Agro-Transfert Picardie,

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