Chlordécone aux Antilles – 1968-2008, Pierre-Benoît Joly

7 septembre 2010 - La rédaction 
Pierre-Benoît Joly, directeur de l'Ifris et directeur de recherche Inra (1) vient de publier « Une saga du chlordécone aux Antilles – reconstruction chronologique 1968-2008 ». Il s'est attaché à rassembler toute l'information accessible afin d'avoir une vision objective sur ce dossier polémique*. Sur cette base, le rapport publié propose une interprétation afin de tirer les leçons de cette expérience, qui concentre tous les ingrédients d'un scandale sanitaire (voir notre article paru le 31 août). Première question à Pierre-Benoît Joly : quels sont les points qui vous ont le plus surpris ?

Campagnesetenvironnement.fr : quels sont les points qui vous ont le plus surpris ?

Pierre-Benoît Joly : Ce qui m’a le plus surpris lors de cette enquête est sans aucun doute à quel point une molécule peut devenir invisible !

S’il n’y avait pas eu en Martinique, en 1998, le mémoire d’une étudiante, conjuguant un peu de curiosité et autant de hasard, cette molécule n’aurait pas fait l’objet d’investigations. Car selon les standards alors en vigueur, il n’y avait pas de raison de la rechercher.

Ce qui pointe clairement la question de l’épidémiosurveillance et de la collecte de l’information. Finalement, on ne connaît pas très bien les pratiques des agriculteurs. L’exemple des abeilles illustre bien la faiblesse du dispositif d’observation. Il est difficile d’évaluer la part des pesticides dans la chute des populations des ruchers. Le Grenelle de l’environnement apporte des éléments de réponse.

Campagnesetenvironnement.fr : Votre étude met en avant les dysfonctionnements au sein de la Commission des toxiques, structure dépendant du ministère de l’Agriculture, en charge de l’évaluation et de l’homologation des produits. La situation a-t-elle depuis évolué ?

Pierre-Benoît Joly : Des modifications importantes ont eut lieu. Fin 2006, l’instruction des dossiers d’homologation a été transférée des services de la DGAL (direction générale de l’alimentation, ministère de l’Agriculture), à la Dive, direction du végétal, au sein de l’Afssa (agence française de sécurité sanitaire des aliments). Cette direction a été dotée de moyens conséquents en scientifiques et experts. Ce changement s’inscrivait dans une réforme plus générale de l’expertise, mise en place à la fin des années 1990. La crise de la vache folle a précipité ces évolutions dans le monde agricole, avec, notamment, une séparation de l’évaluation des risques et de la gestion économique. La réglementation européenne sur les pesticides de 1993 accompagnait le mouvement, en contribuant notamment à diminuer sensiblement le nombre des molécules et à resserrer les critères d’homologation.

Campagnesetenvironnement.fr : Quels sont les points qui restent très largement à régler ?

Pierre-Benoît Joly :
La question de la préparation et de la mise en œuvre d’alternatives à la lutte avec les pesticides est essentielle. Dans le cas du chlordécone, les contraintes n’ont pas été assez fortes, ce qui a retardé le développement des alternatives. Cette question est essentielle pour la gouvernance des risques car, s’il est hypocrite d’argumenter en criant au sacrifice de la santé sur l’autel des intérêts économiques, il est irresponsable de ne pas promouvoir les alternatives qui permettent de supprimer des dangers.

Reste la question des « signaux faibles ». Comment donner plus de saillance à ces éléments, qui paraissent résiduels au moment où ils sont émis ? Il faut protéger les lanceurs d’alerte, qui sont souvent perçus, au moment où ils interviennent, comme des empêcheurs de penser en rond ou des trouble-fête. Il faut aussi repenser les liens dynamiques entre information et action.

Propos recueillis par Catherine Deger

(1) Pierre-Benoît Joly est directeur de l’Institut Francilien Recherche Innovation Société (Ifris) et directeur de recherche Inra, unité de recherche « Science en société ».

* Le chlordécone fait régulièrement parler de lui. Ce pesticide a été utilisé en Guadeloupe et en Martinique dans les bananeraies jusqu’en 1993. Il est source d’une pollution extrêmement persistante. Un lien a également été étbali avec la recrudescence des cancers de la prostate aux Antilles.

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