Les insectes auxiliaires, “agents” qualifiés

20 novembre 2005 - La rédaction 
Conformément au cahier des charges de la charte “tomates et concombres de France”, Abdel Lacham pratique la lutte intégrée. Pour protéger ses cultures des insectes nuisibles, il lâche d’autres insectes, prédateurs naturels de ces ravageurs, dans ses serres.

Encarsia formosa, Phytoseiulus persimilis, Macrolophus caliginosus, Amblyseius californicus… Non, nous ne sommes pas au département entomologie du Muséum d’histoire naturelle, mais dans les serres d’Abdel Lacham, à Tritteling, en Moselle. Un maraîcher qui a choisi ces insectes ou acariens comme “solutions biologiques” pour lutter contre leurs homologues ravageurs, aleurodes, thrips, mouches mineuses et autres pucerons et chenilles. Dans ses serres qui représentent une surface de trois hectares et dans lesquelles il produit majoritairement du concombre, 1 500 tonnes par an, mais aussi des tomates, des poivrons, des aubergines, Abdel Lacham a donc opté pour la lutte intégrée. “J’ai fait ce choix, explique le maraîcher, ingénieur agronome spécialisé dans la protection des végétaux et formé dans son pays d’origine, le Maroc, car il permet de se démarquer des Espagnols et des Marocains, très présents sur le marché. J’adhère ainsi à la charte « tomates et concombres de France », permettant de produire des légumes sains, avec le moins de résidus possibles. Ce concept (voir encadré ci-dessous) présente l’avantage de respecter l’environnement, il est également plus intéressant pour le confort des salariés – ici une quinzaine – qui manipulent très peu de produits chimiques.” Car qui dit lutte intégrée ne dit pas lutte biologique, et Abdel Lacham est parfois amené à utiliser certains traitements phytosanitaires, lorsque les auxiliaires n’y suffisent plus. Mais c’est alors en dernier recours, lorsque les ravageurs ont été détectés trop tard par exemple. Les matières actives sont alors utilisées en alternance, pour minimiser les interventions. “Dans ces milieux chauds et humides que sont les serres, explique l’exploitant, les insectes se plaisent particulièrement, et certaines populations de ravageurs, si elles sont bien adaptées, peuvent se développer de façon exponentielle. Le but, avec la lutte intégrée, est de limiter les animaux nuisibles à des niveaux faibles, pas de les exterminer. Car les produits chimiques ont un inconvénient majeur : ils détruisent souvent tous les insectes, les mauvais comme les bons. En tout chimique, on risque l’impasse, voire l’apparition des phénomènes de résistance.”

Des salariés formés à l’observation

 src=

Abdel Lacham a travaillé pendant huit ans chez un serriste de l’Yonne produisant également des tomates et des concombres, avant de s’installer à son propre compte, avec son épouse.

Autre désavantage des produits phytosanitaires, ils imposent de respecter un délai avant de pouvoir à nouveau cueillir les légumes, au minimum trois jours. Or, le concombre est un produit fragile sanitairement, car très riche en eau, et qui se conserve mal. Il nécessite donc un ramassage régulier, au moins quotidien, car sinon le légume jaunit, devient mou.
Le recours aux auxiliaires évite ces périodes de non-cueillette. Mais cette méthode impose un suivi et une observation constante des plantes. “La formation des salariés est très importante, explique Abdel Lacham, car ce sont eux qui passent partout dans les serres. Et ils doivent observer de façon attentive et régulière afin de détecter les foyers de nuisibles. C’est pour leur bien, car de leurs observations dépend un environnement sain.” En revanche, en matière de coût, la lutte intégrée s’avère plus onéreuse que la lutte traditionnelle, mais pour l’exploitant, la résolution des problèmes de résidus et de résistance l’emportent sur cet aspect financier.
Les nuisibles se logent préférentiellement sous les feuilles, à l’abri de la lumière, ici très vive. Les dégâts qu’ils provoquent sont soit directs, feuilles mangées, taches, piqûres sur les jeunes légumes, soit indirects, en favorisant la transmission des virus ou en secrétant une sorte de miellat sur lequel se développent les champignons. On a alors des concombres, mais aussi des aubergines collants, difficiles à commercialiser.

Les Hollandais en avance

Quant aux “traitements” eux-mêmes, ils se présentent sous plusieurs formes : sachets ou flacons que l’on répand directement sur la plante, plaquettes qui vont permettre la diffusion des prédateurs. À l’intérieur de ces formes de conservation, ceux-ci sont utilisés à différents stades : adultes, larves, pulpes (nymphes), œufs. Leurs modes d’action diffèrent selon leur espèce et leur forme, avec une prédilection pour le parasitage des larves des nuisibles. L’encarsia, par exemple, est une microguêpe qui a la bonne idée de pondre ses œufs dans les larves de la mouche blanche, un des pires ravageurs de la culture. L’amblyseius cucumeris est un acarien prédateur de larves de thrips. Dans le cas d’aphidoletes, c’est la larve de ce diptère qui est prédatrice de pucerons. Abdel Lacham se fournit auprès de deux sociétés, l’une belge, Biobest, l’autre hollandaise, Koppert. “Les Hollandais ont vraiment une longueur d’avance en matière de lutte intégrée, par rapport à la France, précise le maraîcher, car ils ont effectivement beaucoup plus de serres et depuis plus longtemps, mais parce qu’ils sont également plus portés sur ce type de démarches”.

 

Utiles contre nuisibles

La lutte intégrée, également appelée production biologique intégrée (PBI), est un mode de culture propre qui utilise des prédateurs naturels pour protéger les cultures. Découverte en 1905 en Californie, la PBI n’est possible que sous abris pour éviter la dispersion des insectes. Il s’agit de maîtriser les insectes nuisibles par l’introduction dans les cultures de leurs prédateurs naturels. Ainsi, ce sont les insectes “utiles” qui se nourrissent des insectes nuisibles… Par ailleurs, afin de favoriser la pollinisation des plantes, les producteurs utilisent des travailleurs infatigables, les bourdons, qui assurent la fécondation naturelle des plantes. Un type de pollinisation qui vaut pour les tomates car les concombres, eux, ne présentent que des fleurs femelles et n’ont donc pas besoin d’être fécondés pour engendrer des fruits. Le producteur doit donc maintenir l’équilibre de cet écosystème dans la serre pour que bourdons, insectes utiles, insectes nuisibles et plantes cohabitent dans les meilleures conditions. Toutefois, la lutte intégrée coûte deux à trois fois plus cher que la lutte chimique. Ce choix fait donc passer la sécurité alimentaire avant le coût des traitements. D’après “tomates et concombres de France”, 1 000 hectares d’exploitations de tomates et 150 hectares d’exploitations de concombres, soit 80 % des exploitations, sont aujourd’hui concernés par ce mode de culture en France.


Laisser un commentaire

Recevoir la newsletter

Restez informé en vous abonnant gratuitement à la newsletter