“Un vrai manque de moyens”

20 novembre 2005 - La rédaction 
Pour Jean-Marc Petat, responsable du département filière et environnement, chargé du dossier abeille chez BASF Agro, si le dossier sur la surmortalité des abeilles patine, c’est parce qu’il y a “un manque de cohérence et de moyens financiers pour étudier le phénomène de dépérissement des abeilles en France”. Il défend avec véhémence l’absence de nocivité du Régent TS.

 

Jean-Marc Petat, responsable du département filière et environnement BASF Agro : “La perte de biodiversité dans les zones de grandes cultures est l’une des causes du dépérissement des abeilles”.

Référence Environnement : Le dossier Régent TS (insecticide utilisé en traitement des semences) a été sujet à de nombreux rebondissements réglementaires et juridiques. Où en êtes-vous ?

 Jean-Marc Petat : Concernant l’autorisation de commercialisation du Régent TS, la balle est d’abord dans le camp de la Commission européenne dans le cadre de l’inscription du fipronil (composant chimique du Régent TS) sur la liste des substances actives autorisées au sein de l’Union européenne. Si le dossier trouve une issue favorable, ce sera ensuite aux autorités françaises de lever l’embargo mis en place en France, le 23 février 2004. Toutefois, nous avons le sentiment d’avoir progressé face à deux accusations. D’abord celle relative à la santé humaine a été levée par l’Afssa et l’Afsse en 5 avril 2005. Ces deux autorités, saisies par le ministre de l’Agriculture pour rendre un avis, n’ont pas trouvé “d’éléments indiquant que l’exposition au fipronil constitue un risque pour la santé de l’homme dans les conditions d’emploi préconisées”. Les accusations lancées par nos opposants, indiquant notamment la présence de résidus de fipronil dans le lait, ou relevant des malformations sur les enfants n’ont pas été confirmées. Cette réhabilitation tardive illustre malheureusement les dégâts et le danger provoqués par ces accusations lancées sans fondement scientifique. Nous attendons aussi beaucoup de la procédure en diffamation à l’encontre de Philippe de Villiers qui passera en jugement le 23 février 2006, après un cinquième report. Nos collaborateurs ont été indignés de ses multiples propos nous accusant d’avoir mis en place un système d’intimidation envers l’Administration. Par ailleurs, du côté des abeilles, l’enquête de la Direction des services vétérinaires n’a relevé que 0,6 % de cas de surmortalité en 2004. Nous espérons que cette enquête ait été reconduite en 2005, pour un bilan objectif.

 R.E. : Des recherches plus poussées sont-elles en cours en France pour comprendre les causes de surmortalité des abeilles ?

J.-M.P. : Nous regrettons l’absence de structure technique apicole indépendante autant de la part des syndicats apicoles que bien sûr des firmes. Structure technique qui se rencontre dans d’autres pays en Europe. Les errements que nous vivons depuis dix ans en France et qui ont conduit à l’application du principe de précaution en 2004 trouvent leur origine dans un manque de cohérence et de moyens financiers pour étudier le phénomène de dépérissement des abeilles en France. En Belgique, 230 000 euros ont été alloués pour rechercher les causes de surmortalité des butineuses dans le cadre d’une vaste enquête multifactorielle. Ce pays, mais aussi l’Espagne, l’Allemagne, les États-Unis ont les mêmes problèmes que nous. D’ores et déjà des résultats sont présentés. Ainsi en Belgique, l’équipe du professeur Éric Haubruge de l’unité d’entomologie fonctionnelle et évolutive de la Faculté agronomique de Gembloux a relevé des pratiques apicoles aléatoires dans le cadre de la lutte contre la varroase (1). Elles seraient responsables des pertes massives. Les dossiers pesticides et les effets de l’environnement sont encore à l’étude. En Espagne, un nouveau parasité a été découvert par le Centre apicole de Castille et de la Mancha : Nosema ceranae. Enfin, en Allemagne un “monitoring des abeilles” a été lancé au printemps 2005 pour cinq ans. Cette phase d’étude rassemble plus de 150 apiculteurs.

 R.E. : On observe tout de même en France une surmortalité au moment de la floraison des tournesols ?

J.-M.P. : Trois facteurs entrent un jeu. D’abord la diminution de moitié des surfaces en tournesol depuis 1992 et en parallèle un maintien du niveau du cheptel apicole sur ces régions notamment dans l’ouest de la France. Par ailleurs, nous avons découvert les travaux effectués par l’équipe du Pr. Jacobs en Belgique (Université de Gand), lors de notre premier colloque technique apicole réalisé avec les apiculteurs en 2004. Ces travaux mettent en évidence le rôle majeur de la qualité nutritive du pollen dans l’alimentation de l’abeille. Ces chercheurs ont mis en évidence de manière scientifique que la qualité des pollens issus de différentes espèces végétales peut influencer la durée de vie des abeilles (par exemple bonne qualité pour le fraisier, moindre pour le maïs). Ils ont aussi montré une variation de la richesse du pollen de tournesol.

S’ajoute une perte de la biodiversité. En Vendée, 30 % des surfaces sont des sources potentielles de nectar contre 63 % par exemple en Rhône-Alpes.

Et toujours en Vendée, au mois de juillet et d’août, à part le tournesol et le maïs, les abeilles n’ont pas beaucoup d’alternatives. Or, ces deux espèces n’offrent pas les pollens les plus riches.

R.E. : L’enjeu pour votre firme est important. Quelles actions menez-vous ?

J.-M.P. : Nous avons souhaité réunir autour d’une table des apiculteurs, des agriculteurs, des scientifiques, des prescripteurs pour comprendre cette problématique. Mais bien évidemment, notre volonté est que ce dossier soit porté par un institut technique par exemple. Un premier colloque a été initié en octobre 2004. Un second a eu lieu en février 2005. En parallèle nous avons mis en place des essais avec des distributeurs agricoles sur le thème des jachères apicoles. Nous pensons que de telles zones sont possibles à implanter dans le cadre de la conditionnalité des aides. Nous souhaitons donc démontrer leurs effets positifs sur la production de miel et la bonne santé des ruches.

(1) Varroase : Maladie due à un parasite, visible à l’oeil nu, qui se fixe sur les abeilles à tous les stades de leur développement et se nourrit d’hémolymphe (liquide plus ou moins « équivalent au sang » sur le plan fonctionnel chez certains Invertébrés). La mort de la colonie en deux à trois ans est presque certaine si aucun traitement n’est prodigué.

 

Témoignage : Jean Fedon, apiculteur à Razès (87)

 “Pas de mortalité anormale à proximité des champs de tournesol traités Régent en 2001 et 2003”

 Cette année, la récolte de miel n’est pas à marquer d’une croix dans les annales de l’apiculture. Jean Fedon, apiculteur à Razès en Haute-Vienne a tout au plus recueilli 4 kg pour chaque ruche placée près des champs de tournesol non traité en 2005. “La faute à une trop faible hygrométrie explique-t-il ; le vent sec a empêché la sécrétion de nectar.” Pour lui, les pertes d’abeilles observées dans ses ruches ne sont pas anormales. Des abeilles noires meurent en juillet pour des raisons physiologiques car elles se préparent tôt à l’hivernage, celles de souches américaines plutôt au mois d’août.

À la retraite, c’est aujourd’hui son fils qui gère les 1 200 ruches de l’exploitation. En 2001, il a entrepris, de sa propre initiative et avec l’accord d’un agriculteur, des essais près de parcelles de tournesol traitées Régent. 10 ruches espacées de 30 m ont été placées le long d’un champ de 8 hectares. “J’ai assisté au semis du tournesol. Un témoin était installé sur une zone sans tournesol. Je pesai ensuite les ruches 2 fois par semaine le matin à 8 heures pour estimer la quantité d’abeilles. Aucune perte anormale n’a été remarquée. J’ai ensuite réitéré l’expérience en 2003 avec 20 ruches et réalisé les pesées sur trois d’entre elles, obtenant les mêmes conclusions. Je n’écarte pas la responsabilité des pesticides dans certains cas, mais il me semble que les disparitions massives de cheptels certaines années peuvent avoir une autre explication.”

Dépérissement des abeilles à l’étranger

 

Espagne

Belgique

Allemagne

Etats-Unis

Mortalité

30 %

17 %

29 %

30 % (50 % en Californie)

Causes probables de mortalités

nosema

varroa, roténone, climat

Varroa, climat

varroa

Sources : Communication Université de Gembloux 21 septembre 2005- Allemagne : Communication Apimondia Dublin 2005 (21 au 26 août) – Dr Von der Ohe W., Institut apicole de Celle. Communication du Centre apicole de Castille de la Mancha – 24 septembre 2005. Il n’existe pas en France de statistique officielle pour l’année 2005.

Belgique : 1er facteur mis en évidence, les mauvaises pratiques apicoles

Les résultats intermédiaires de l’étude réalisée par l’équipe du professeur Éric Haubruge de l’unité d’entomologie fonctionnelle et évolutive de la faculté agronomique de Gembloux portent sur le bilan sanitaire de 1 275 ruches en territoire wallon. Les pourcentages moyens de pertes relevés tournent autour de 17 % avec des pointes à 50 % selon les régions. La période de mortalité se situe entre novembre et janvier dans 15 % des cas et entre février et avril dans 80 % des cas. Par ailleurs, selon les analyses du Centre d’analyse des résidus en traces de l’Université de Liège, 56 matières actives ont été détectées dans le miel, la cire et sur les abeilles à doses très faibles. Des résidus d’imidaclopride (matière active présente dans le Gaucho) ont été retrouvés en faibles quantités et sur peu d’échantillons selon les chercheurs. Ils pointent plutôt l’épidémie de varroase. Dans les ruchers les plus affectés par la mortalité, des traces de roténone (non agréé pour lutter contre la varroase) sont présentes. Les chercheurs plaident pour un suivi sanitaire des ruchers et une meilleure formation des apiculteurs. À noter qu’en Belgique le tournesol est rare, voire absent, le Régent TS est donc peu utilisé. Le gaucho est appliqué sur 3 % des maïs et 80 % des cultures de betteraves.

Espagne : un nouveau parasite, Nosema ceranae

Le centre apicole régional de Castille de la Mancha, rattaché au conseil de l’Agriculture, a détecté pour la première fois en Espagne et en Europe la présence du parasite Nosema ceranae. C’est grâce au développement d’une technique de biologie moléculaire permettant d’amplifier et de séquencer les gènes, que ce parasite a été identifié.

Dans un communiqué du 24 septembre 2005, ce syndrome est décrit comme “une diminution progressive du nombre d’abeilles dans la colonie, sans cause apparente, jusqu’à l’effondrement et la disparition de la colonie

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