La hausse des prix des graines de moutarde pique les industriels du secteur

24 mars 2022 - Laure Hänggi 
La majorité des graines de moutarde utilisées par les industries françaises sont aujourd’hui importées du Canada. Ce pays ayant divisé par deux ses plantations au cours des deux dernières années, le condiment préféré des français est menacé de pénurie, indique la FICF (Fédération des Industries Condimentaires de France). Entretien avec Michel Liardet, président de la Fedalim (Fédération professionnelle nationale regroupant 6 syndicats professionnels de l’alimentaire) et d’Européenne de Condiments, numéro deux sur le marché de la moutarde en France.

La filière moutarde souffre de la forte augmentation des prix des graines en raison d’une importante baisse de la production au niveau mondial. Le Canada, plus gros exportateur, a réduit sa surface de production de 50 % depuis 2020 au profit de cultures plus rémunératrices comme le blé. A cela s’ajoute une récolte 2021 particulièrement mauvaise en raison de conditions climatiques extrêmes. « Cette baisse de production de graines se traduit par des productions de moutarde d’ores et déjà suspendues chez certains fabricants, une multiplication jusqu’à 4 ou 5 des prix de la graine de moutarde, et une situation de pénurie », explique dans un communiqué daté du 17 février la Fédération des Industries Condimentaires de France, FICF. Michel Liardet, président d’Européenne de Condiments et de la Fedalim*, alerte sur la crise : « Sur une année, nous avons besoin d’un total de 35 000 tonnes de graines de moutardes, mais cette année la production dont nous disposons n’est que de 15 000 tonnes. »

LA CRISE DE L’INDUSTRIE FRANÇAISE DE LA MOUTARDE

Les Français sont pratiquement les seuls à utiliser les graines brunes de moutarde, qui ont un goût piquant. Ailleurs dans le monde, c’est la graine blanche (yellow mustard) qui est utilisée. Michel Liardet insiste sur l’importance de se réapproprier la production de moutarde brune et de ne plus dépendre autant des importations : « Nous avons encore un peu de stock et nous parvenons à nous procurer quelques graines, mais en très petites quantités et à des prix exorbitants.Nous avons un risque sur les prochains mois. La plupart des fabricants de moutarde ont déjà arrêté tout ou partie de leur production. Si nous arrivons tout juste à maintenir la nôtre, nous ne pouvons pas en plus compenser les volumes de report des autres pour maintenir le marché. »

QU’EN EST-IL DE LA PRODUCTION AGRICOLE DE MOUTARDE EN FRANCE ?

La graine de moutarde, dont la culture avait disparu de notre territoire, est de nouveau implantée en France depuis 30 ans grâce à l’AMB (Association Moutarde de Bourgogne), qui œuvre en sa faveur. Elle compte aujourd’hui 300 producteurs. La production s’élève à 10 000 tonnes par an, soit environ le tiers des besoins annuels français.

L’AMB, qui regroupe agriculteurs, industriels, la Chambre d’agriculture et l’université de Bourgogne, a réussi à obtenir l’IGP moutarde de Bourgogne en 2009 pour valoriser la production française. Une démarche est également en cours pour la moutarde à l’ancienne.

Cependant, un ravageur (la grande altise) fragilise la filière depuis deux ou trois ans. Il a parfois causé des pertes allant jusqu’à 50 % des récoltes. En outre, l’insecticide habituellement utilisé (le Boravi) est désormais interdit en France.

UN APPEL À L’AIDE AU GOUVERNEMENT POUR SURMONTER LA CRISE

« Des solutions à court et long terme doivent être trouvées », explique Michel Liardet. « Nous attendons l’homologation d’un nouvel insecticide (le cyantraniliprole) qui a fait l’objet d’une utilisation dérogatoire sur le maïs, et à court terme son utilisation sur la moutarde parait indispensable pour soutenir les producteurs et les industriels. A moyen/long terme, il s’agit de travailler soit sur des plantes plus résistantes, soit sur de nouveaux modes de traitement, indique-t-il. Mais il faut aussi agir plus généralement pour soutenir le développement de la filière, notamment financièrement. Malgré nos efforts, la graine de moutarde française est souvent encore plus chère que la graine canadienne, de l’ordre de 20%. »

Pour Michel Liardet, « des incitations pour que plus de producteurs se lancent dans cette culture pourraient aussi être intéressantes. Il faut aussi encourager la recherche, des essais réalisés en bio sont prometteurs, et un vrai travail de sélection de variétés plus résistantes est en cours. C’est un enjeu de souveraineté nationale. »

*Fédération professionnelle nationale regroupant 6 syndicats professionnels de l’alimentaire dont la FICF

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